Le plaidoyer de l’Economie Sociale et Solidaire
Les entreprises coopératives : des pratiques a entendre
Après la crise sanitaire, loin d’être derrière nous, c’est au tour de la crise économique et sociale d’apporter son lot d’inquiétudes et de susciter l’interrogation sur les moyens de “relancer”. Le difficile équilibre entre l’urgence du très court terme, pour empêcher un véritable effondrement économique et social, et l’urgence du moyen terme, pour faire face aux enjeux écologiques et à leurs conséquences économiques et sociales dévastatrices, pose un véritable casse-tête collectif. Les solutions nécessiteront de la créativité et du courage, et cela ne sera possible que dans le respect de l’intérêt général et des droits et opinions de chacun·e.
Tout le monde (ou presque) rappelle cette exigence démocratique, et pourtant il y a une dimension essentielle de notre société, de notre vie de citoyen·ne·s qui est très largement oubliée par la démocratie : le monde du travail. On continue à considérer comme normal que les “citoyen·ne·s” soient en fait, la plupart de leur temps, des “salarié·e·s” subordonné·e·s, des “fournisseurs” dépendants de leurs donneurs d’ordre, des “riverains” impuissants face aux nuisances d’une activité économique…
En tant qu’entrepreneur·e·s et salarié·e·s de sociétés coopératives (Scop et Scic) de la région Auvergne-Rhône-Alpes (596 entreprises dans tous les secteurs d’activité), nous prenons la parole pour rappeler l’existence d’entreprises fondées sur la démocratie économique et proposer, dans ce débat qui s’ouvre, notre différence comme solution possible pour le “monde d’après”.
Une véritable démocratie économique constitue, pour nous, la clef d’un modèle économique respectueux de l’humain et de l’environnement, permettant la construction d’un monde résilient articulant les enjeux du court et du moyen termes, ne dissociant pas l’utilité sociale de l’activité économique. Utopiste ? Non, ce modèle existe depuis les années 1840, notamment en Auvergne-Rhône-Alpes. Il suffit de le rendre plus visible et de s’en inspirer. Inefficace ? Non, plus juste, plus équitable, plus responsable, le mode d’organisation coopératif est tout aussi efficace que celui des sociétés de capitaux.
Des entreprises conçues comme des biens collectifs plutôt que des sociétés de capitaux
Les entreprises coopératives appartiennent majoritairement à leurs associé·e·s salarié·e·s, dans le cas des Scop, ou, dans le cas des Scic, à l’ensemble des acteurs concernés par leur projet, dont les salarié·e·s. Le capital collectif, comme le précisent bien les règles du jeu propres aux Scop et Scic (1), y est un instrument de développement et non un levier de profits. Les salarié·e·s sont donc perçu·e·s comme la ressource n°1 des coopératives, avec ce qui en découle : exigence de formation et de promotion de chacun·e, prise en compte de la santé au travail, préoccupation prioritaire de la pérennité des emplois. La visée de l’épanouissement des salarié·e·s est non seulement familière aux entreprises coopératives, mais elle y est perçue comme une de leurs finalités.
Nos entreprises fondent leur fonctionnement sur la démocratie
En coopérative, « une personne = une voix », indépendamment de la part du capital détenue. Chaque salarié·e prend part aux décisions qui concernent son travail au quotidien, mais aussi les orientations de l’entreprise à moyen et long termes. Et tous les organes de gestion d’une coopérative comprennent au moins deux tiers de salarié·e·s sociétaires. C’est une garantie que le devenir de l’entreprise et les intérêts de ses salarié·e·s sont et demeurent en cohérence. Ces « républiques de salarié·e·s » que sont les Scop et Scic s’en portent bien, leur résistance dans la durée est supérieure à celle des entreprises conventionnelles. De plus, participer à une démocratisation du vécu en entreprise est, pour les coopérateurs·trices, un engagement porteur de sens, un élément de qualité de leur vie professionnelle.
Nos entreprises s’inscrivent dans le moyen et le long termes
La démocratie économique vécue va de pair avec un rapport au temps spécifique : considérer le capital comme un instrument et décider en collectif, c’est exclure l’enrichissement à court terme des actionnaires, avec ses dommages collatéraux à l’écologie, à la justice, au devenir des emplois et des territoires… Les Scop et Scic appartiennent par choix au mouvement coopératif mondial et au courant de l’économie solidaire. Elles se réfèrent donc à des valeurs et des objectifs de dimension historique : démocratisation réelle des sociétés, émancipation des travailleurs et travailleuses, développement humain n’excluant personne, aujourd’hui et dans l’avenir.
En cohérence avec l’exigence absolue d’une transformation écologique et solidaire
Les principes de l’Alliance Coopérative Internationale, depuis plus d’un siècle, mettent en relief « l’engagement envers la communauté » comme une caractéristique des entreprises coopératives. Il s’agit en premier lieu de leur territoire d’implantation ; les coopératives y génèrent des emplois, des commandes, avec ce qui en découle pour l’économie locale. Une partie d’entre elles s’investit fortement pour le développement de leur territoire, dans des domaines divers : l’alimentation, la culture, la santé, les énergies alternatives, l’action sociale… En parallèle, nous constatons que celles et ceux qui veulent, dès aujourd’hui et pour demain, une terre vivable pour tous sont nombreux à adopter le modèle coopératif. Il y a là une cohérence : ils trouvent dans nos entreprises des sociétés de personnes qui croient à la force du travail en collectif, qui remettent en cause concrètement la priorité au court terme, qui essayent de rendre réelle leur volonté d’un engagement envers la société. L’impératif d’un renversement des comportements au nom de l’avenir de l’humanité traverse les décisions et les réflexions des coopératives. Il est pour elles nécessaire cependant de passer aux actes encore plus résolument pour la transformation écologique et sociale, tant de leurs entreprises que de nos économies en général.
Il ne s’agit pas ici de vendre un statut, de prétendre que la coopération est “le” mode d’organisation parfait, à l’abri de tout conflit ou toute faille : nous sommes cependant convaincus qu’il est nécessaire de voir débattues, étudiées et soutenues, les potentialités offertes par un changement d’échelle, si ce n’est une généralisation, de cette manière d’entreprendre radicalement différente, mettant la démocratie et l’intérêt général au coeur même des rouages de l’économie.
Que cela prenne la forme d’une convention, de forums économiques et sociaux…
Les Scop et Scic sont prêtes à alimenter cette réflexion collective à partir de leur expérience et sont au service de cette aspiration de changement profond et positif que constitue la démocratie économique.
(1) Dont la règle extrêmement significative qui attribue aux « réserves impartageables » de la coopérative une part de ses bénéfices annuels.