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La mondialisation près de chez vous

Les concentrations dans la grande distribution française ont abouti à la formation d’un véritable oligopole qui fixe les prix à la production dans un contexte ruinant à la fois les fournisseurs (entreprises et agriculteurs), leurs salariés et les citoyens-consommateurs. Abusant d’une image de magasins soi-disant bon marché totalement injustifiée, ils nous imposent un schéma de consommation induisant un choix de société qui n’est pas celui que nous revendiquons. Les pratiques de la grande distribution française sont politiquement régressives, socialement et culturellement appauvrissantes. Le commerce éthique ne peut se limiter aux seuls apports Nord-Sud mais, doit s’imposer comme la norme en offrant au consommateur des produits à marges raisonnables, non confiscatoires, permettant de relocaliser et de redéployer une économie de plein emploi.

 De Landerneau au complexe de Marne-la-Vallée

  •  En ouvrant son premier libre-service à Landerneau, en 1949, Edouard Leclerc voulait lutter contre les abus sur les prix liés à la pénurie d’après guerre. Commerçants et producteurs profitaient en effet de cette situation, en gonflant marges et prix de vente. La baisse des prix de détail devait permettre de maîtriser l’inflation. La simplification des circuits de distribution favorisait la concentration des entreprises, avec la constitution de grands groupes, en agro-alimentaire notamment.
  •  Mais, dans la course à la concentration, les distributeurs ont pris une longueur d’avance. Ayant su conquérir le consommateur ils se retrouvent en position de force.
  •  Vers la fin des années 1980, leur suprématie leur permet d’imposer leur loi aux plus grands, comme aux PME.
Le modèle de la grande distribution française est un véritable concentré de ce que peut être le capitalisme débridé tel que le rêvent les promoteurs du néolibéralisme mondialisé.

 Les rouages du système

Une commission parlementaire a dénombré 500 prétextes pour soutirer de l’argent aux fournisseurs.

Six centrales d’achat se partagent le marché. La totalité des magasins de petite, moyenne et grande surface, quel que soit leur nom, dépendent pour leur approvisionnement de six centrales d’achat : Carrefour, Lucie (commune à Leclerc et Système U), Auchan, Provéra (Cora, Franprix, Leader Price, Monoprix Prisunic), EMC (Casino) et Intermarché. Approchant leur niveau de saturation, elles se diversifient largement dans deux directions :

  •  les autres activités, notamment les services : voyages, assurances… et maintenant banques, artisanat…
  •  la mondialisation : Carrefour est implanté en Pologne, en Chine, au Mexique, en Argentine… et se dispute le leadership mondial avec Wal Mart (États-Unis). Au-delà de ces entreprises, d’autres ont vu le jour qui partagent les mêmes pratiques, dans tous les secteurs de la distribution spécialisée (bricolage, bâtiment, décoration, équipement de la maison, sports, jouets…) et même l’hôtellerie.

 Chantage au référencement

Les magasins n’achètent pas directement à leurs fournisseurs : ils regroupent leurs commandes via une centrale d’achat, ce qui leur permet de peser sur les prix et d’exercer leur loi auprès des fournisseurs en maîtrisant toutes les négociations, et en contrôlant tout ce qui rentre. Le fournisseur doit obtenir, pour tout nouveau produit, une sorte d’agrément auprès de la centrale : c’est le référencement. Il conditionne la commercialisation du produit dans tous les magasins de la chaîne, sans toutefois la garantir : dans de nombreux cas, il faudra renégocier localement. Le référencement a trois caractéristiques :

  •  il s’obtient au prix de négociations redoutables ;
  •  il est exorbitant : on évalue à 2 millions d’euros la somme à débourser pour introduire une nouvelle gamme de 5 tablettes de chocolat dans les rayons d’une enseigne nationale ;
  •  il n’est jamais définitivement acquis : le « déréférencement » peut-être prononcé, même sans raison, au bout d’un an par exemple pour intimider un fournisseur.

 Le racket des marges arrière

Une commission parlementaire a dénombré 500 prétextes des grands distributeurs pour soutirer de l’argent aux fournisseurs, regroupés principalement sous le vocable de marges arrière : promotions, mises en tête de gondole, panonceaux, parutions dans catalogues, frais pour anniversaire, participation aux « pertes » éventuelles du magasin, retards dans la livraison, etc. Au total, les marges arrière, constituées essentiellement de prestations fictives ou surfacturées, peuvent représenter 40 voire 50 % du prix. Elles s’ajoutent à la marge commerciale, mais n’apparaissent pas en tant que telles. Elles ne sont d’ailleurs jamais répercutées sur le prix de vente au consommateur. En outre, l’essentiel des actes intermédiaires (transport, logistique, mise en place des produits dans les rayons, animations commerciales, rapatriement ou destruction des invendus…) sont le plus souvent à la charge du producteur. Et jusqu’à l’agrandissement du magasin, auquel il faudra participer.

 Des prix bas ? Un mythe !

En fin de compte, le rapport prix payé au producteur / prix de vente au consommateur est resté sensiblement le même (soit en moyenne de 1 à 4) depuis 1949. Les gains énormes réalisés sur le prix payé aux producteurs ne sont pas répercutés auprès du consommateur, contrairement à la légende entretenue par la publicité. Les seuls prix bas sont ceux payés aux producteurs, et… le salaire des caissières.

 La stratégie des marques de distributeurs (MDD)

Vous croyez acheter du café Jean Fabre : même look, même couleur. Mais regardez bien : c’est un produit « Casino » ou « Carrefour », ou « Reflets de France » (marque MDD de Carrefour) et en plus il est un peu moins cher. Mais rassurez vous, c’est bien un produit J. Fabre, torréfié par J. Fabre : simplement la chaîne y a mis sa griffe, histoire de s’interposer entre la firme et le consommateur, en attendant de trouver un fournisseur plus généreux. Cette stratégie est imposée de plus en plus au producteur, et devient une condition sine qua non d’une bonne « collaboration ». Quant à la remise supportée par le producteur, elle sera supérieure à celle accordée au consommateur. Les pétroliers n’échappent pas à la règle, et Shell a dû céder les 2/3 de ses stations en raison de la concurrence des hypers.

 Corrupteurs de la République

La création et l’extension des grandes surfaces sont soumises à la décision d’une commission départementale (CDEC) avec appel au niveau national (CNEC), sur le scénario interdire local, autoriser global . Résultat : l’ouverture d’un hyper se monnaie dans plus d’un cas sur deux, le tarif pouvant aller jusqu’à deux millions d’euros… Michel Edouard Leclerc, en dénonçant ces pratiques dans son livre La Fronde des caddies,(Plon, paris, 1994) du même coup les avouait…

 Bref, si vous continuez à pousser votre chariot…

En un mot, quand la grande distribution nous vend 10 euros un produit qu’elle a acheté officiellement 9 euros, mais qui lui permet d’engranger une ristourne ultérieure (marges arrière) de 4 euros, il n’y a plus de place pour les salaires. Et le « petit actionnaire » qui a investi sur LU, se rend-il compte que de ce fait il condamne deux fois son petit fils au chômage : d’abord parce qu’il participe à la gestion des licenciements boursiers, ensuite en encourageant des circuits de distribution qui sont, de par leurs exigences, de véritables accélérateurs des délocalisations ? A quoi s’ajoute la disparition des commerces de détail

Un désastre social à la charge du contribuable

Pour un emploi créé, cinq supprimés : il est aujourd’hui clairement établi qu’un emploi créé en grande surface, le plus souvent précaire et à temps partiel non choisi, conduit à la destruction de cinq emplois stables et durables ailleurs. Tout est bon pour maximiser les profits au prétexte de la recherche de gains de productivité : rationaliser, limiter les recrutements, contenir l’évolution des salaires, se séparer des plus anciens, des mieux payés, des trop bien payés, licencier, dégraisser… Plans sociaux, licenciements massifs, artifices en tous genres (formations, stages en alternance, emplois jeunes, associatifs) destinés à maquiller la réalité de la situation de l’emploi, sont autant de conséquences qui ne sont pas mises à la charge de ceux qui en sont la cause. Le consommateur, en tant que contribuable, doit assumer les coûts sociaux que les pratiques de la grande distribution française laissent à la charge de la collectivité.

 Un impact sur tous les secteurs de l’économie locale

Ces grands réseaux ont anéanti le commerce de proximité, ruiné l’artisanat, écrasé l’agriculture à taille humaine, désertifié les campagnes, poussé l’industrie à délocaliser et favorisé les importations massives entraînant chômage et précarité. La concurrence disparaît et le choix du consommateur se restreint au fur et à mesure que de nouvelles concentrations s’opèrent. L’agriculture n’échappe pas à la règle. Les prix comprimés favorisent une agriculture toujours plus productiviste et toujours plus intensive. Beaucoup d’agriculteurs ont cru trouver dans la vente en grande surface un débouché facile pour leurs produits. Mais ils sont soumis aux mêmes règles, et aux mêmes désillusions.

 Omerta et tabous

Le lien entre ces pratiques et le sort réservé au monde agricole et industriel – et par voie de conséquence à leurs salariés – n’est que trop rarement fait par les médias qui sont avant tout des supports, repus de la publicité de la grande distribution, premier annonceur national. L’hebdomadaire Marianne paie très cher la parution d’un article de dix pages dénonçant le problème : boycott total des annonceurs. Gare à l’entreprise qui se rebiffe, ou même évoque le problème. Les confidences sont rares, et toujours anonymes.

Consommateurs citoyens : tous concernés

Un verre de Coca à la main, on s’indigne volontiers des conséquences de la mondialisation néolibérale que nous imposent les transnationales, puis on pousse le chariot dans les travées des grandes surfaces. La grande distribution française, fleuron de l’ultra capitalisme, nous donne le meilleur des exemples de ce que peut être « la mondialisation près de chez nous ». Tout y est : captation des richesses, non redistribution, concentration du pouvoir, destruction du tissu économique et social, promotion d’une agriculture déshumanisée et productiviste, destructrice pour la ruralité et l’environnement, délocalisation de la production dans des pays socialement moins disants, exploitation des travailleurs et des enfants dans le tiers-monde, exportation de ces machines destructrices dans des pays dépourvus de protection sociale… En même temps, comment ne pas s’interroger sur le modèle « culturel » que développe ce type de commerce et de consommation, que nous cautionnons : profusion, gaspillage, conditionnement à la nouveauté… et sur la place croissante des emballages. Profusion d’autant plus obscène dans un monde où deux milliards d’êtres humains vivent en-dessous du seuil de pauvreté.

Un autre monde est possible ? Pas si on ne change pas celui-là .

Article Attac